1. Le grand basculement ; 2. Chercher le peuple ; 3. Guerre et Paix ; 4. L'avenir selon Bruno ; 5. La Dynamique Glucksmann ; 6. Dja Dja ce n'est pas français ; 7. Macron dans le piège budgétaire.                 

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1. Le grand basculement

Ce qui se prépare, ce qui sourd, ce qui vient, c'est la fin d'un monde, la fin de la domination occidentale et de l'ère industrielle qui a marqué la dernière étape de sa domination. C'est le grand basculement dans un nouveau monde fait de guerres et d'évolutions, où les nouvelles technologies imposent une rupture anthropologique. Cette nouvelle "génético-évolutive" entre en contradiction, pour le meilleur ou pour le pire, avec les anciennes traditions issues de l'époque industrielle. C'est un nouveau Moyen Âge avant la Renaissance. Ce choc, où le mort saisit le vif, est le temps des convulsions : la guerre, la grande pauvreté, la barbarie climatique, la violence et des progrès inouïs sans frontières ni temps morts. Un monde de déséquilibre à la recherche d'un nouvel équilibre. Tout change, tout bouge, tout évolue plus rapidement en une décennie qu'en un siècle. Et ce mouvement impacte d'abord l'humain dans toutes ses dimensions. Il n'y a rien de linéaire. Il y a des avancées spectaculaires et des retours en arrière. Et ce "mouvement", ces ruptures, provoquent du conservatisme. Pour autant, celui qui ne comprend pas ce moment, ce passage, ce basculement est un aveugle qui tâtonne dans le noir. Il faut s'y engager, puisqu'il nous est imposé, la torche de la civilisation humaine à la main.

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 2. Chercher le peuple

L'élection de Poutine n'a d’ « élection » que le nom. Le dictateur du Kremlin l'a pensée comme un plébiscite de sa guerre. Admettons quand même que nous étions moins regardants pour le Maréchal Sissi en Égypte ou Xi Jinping en Chine. C'est normal, Poutine a porté la guerre en Europe. Par contre, il est de bon ton de s'offusquer du vote des Russes. Ce "comment est-ce possible ?" Venant d'une France qui, en son temps, a massivement adhéré à Pétain, une Allemagne à Hitler, une Italie à Mussolini, une Espagne à Franco, un Portugal à Salazar et une Europe de l'Est à Staline laisse un peu rêveur. La terreur explique beaucoup de choses, mais pas tout. À la suite des travaux de Pavlov, Serge Tchakotine dans "Le viol des foules" a expliqué les mécanismes de l'adhésion. Wilhelm Reich a aussi écrit sur la "psychologie de masse du fascisme" avant de sombrer dans le délire sur l'orgasme. Et Daniel Guérin a des pages inoubliables sur la montée du fascisme et ses ressorts. Le besoin d'ordre, de protection, l'image du père, la fascination pour la puissance, la haine xénophobe, le chômage de masse et la précarité, le complotisme sont les faces obscures de la force... des démocraties. "Foule sentimentale ; on a soif d'idéal ; attirée par les étoiles" chante Alain Souchon. Et comme en Russie la démocratie ne s'est jamais vraiment installée, il ne faut pas s'étonner de l'adhésion d'une foule sans alternative. Démocrate, nous voulons toujours voir dans le peuple une puissance spontanément démocratique. C'est d'ailleurs poussé à l'extrême ce que pensent les populistes de tous poils. Le peuple est spontanément saint, il est perverti par des élites qui le leurrent. Le peuple chimiquement pur et idéalisé, c'est un peu plus compliqué. Les peuples ont leur autonomie d'appréciation, soit suivistes, soit réticents. Tout cela pour dire que le talon d'Achille de Poutine - et c'est heureux - c'est un peuple. Il adhère aussi vite qu'il peut se détourner. C'est le peuple russe qu'il faut faire douter. C'est là que réside la clé de la défaite de Poutine. Lénine l'avait bien compris en déployant l'agitation sur ce sujet pour affaiblir le Tsar Nicolas II. Quand le front est figé, c'est l'arrière la première ligne. C'est la leçon de 14-18. Le chef du Parti bolchevique disait aussi que dans la guerre, c'est le temps qui décide de tout. Et Poutine, contrairement à ce qu'il croit, n'a pas le temps pour lui. L'économie de guerre se porte bien, mais elle ne peut tenir trop longtemps. Cet état de guerre aspire toute la société au détriment du peuple. Et c'est le peuple russe, l'horloge de la guerre. La profondeur stratégique de la Russie, c'est son peuple, c'est sa force et sa faiblesse. En attendant, une guerre longue s'installe, sans exclure un effondrement partiel sur le front du Donbass. C'est visiblement cette sombre perspective, et pas seulement l'arrivée de Trump à la tête des États-Unis, qui a provoqué ce tournant "guerrier" sur l'ensemble du continent. Nous aurions dû être dès le début plus aidants, nous n'en serions pas là. Les Russes se sont réorganisés et enracinés dans le Donbass. L'intérêt de l'Europe, c'est la stabilisation du front. La question est donc l'unité de commandement européen, c'est-à-dire la solidarité des dirigeants européens basée sur une analyse commune et un objectif commun. C'est ce qui a été initié par l'adoption de la "boussole stratégique commune" du fonds européen de défense et maintenant de la monétisation des avoirs gelés russes pour financer l'achat des munitions. C'est cela qu'il faut faire vivre aujourd'hui. Il est de ce point de vue invraisemblable que la France ait laissé faire l'accord entre Framatome et Rosatom pour des combustibles nucléaires russes, au moment où l'on crédibilise notre hostilité frontale à Poutine.            

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3. « Guerre » et « Paix » : de l'instrumentalisation

Emmanuel Macron instrumentalise la « Guerre » qui approche dans le contexte des élections européennes. Pendant ce temps, Jean-Luc Mélenchon tente d'instrumentaliser la « Paix » qui tarde à venir. Les deux cherchent à éviter d'être sanctionnés par un vote en faveur de l'extrême droite pour Macron et de Raphaël Glucksmann pour Mélenchon. Tous deux essaient d'organiser, pour la énième fois, un "vrai faux" clivage qui les a tant définis.

Nous ne sommes pas obligés de tomber dans ce piège, tout en nous posant les bonnes questions. Nous ne gagnerons pas contre Poutine en faisant croire que nous allons lui envoyer une bombe nucléaire sur la tête. Nous ne le croyons pas, et il ne le croit pas non plus. Nous savons que nous ne répondrons pas à une frappe nucléaire tactique, aussi épouvantable soit-elle. Les conséquences seraient dévastatrices pour la France. De plus, Poutine hésiterait jusqu'à la dernière seconde à le faire. C'est un saut dans l'inconnu. Même s'il a sûrement moins d'empathie pour son peuple que la France, le maître du Kremlin a déjà tourné la théorie nucléaire. Il ne considère plus le nucléaire comme une arme de dissuasion, mais plutôt comme une arme de protection de sa terreur.

D'un autre côté, nous n'obtiendrons pas la Paix en acceptant les conditions de la Guerre de Poutine, ou en établissant un équivalent entre les agressés et l'agresseur. Aucune Paix n'a été obtenue sans une défaite, même partielle ou symbolique, de l'un ou de l'autre. Les Américains, pendant la guerre du Vietnam, n'ont consenti à des négociations à Paris que lorsqu'ils ont pensé qu'ils n'allaient pas gagner et qu'ils devaient partir.

De plus, faire mine, comme Mélenchon, de ne pas choisir entre les deux camps revient à choisir l'un des deux, c'est-à-dire la Russie. Les Ukrainiens sont dans ce conflit ce que les Vietnamiens étaient dans la guerre du Vietnam.

Pour aller plus loin, il est maintenant temps de relire Raymond Aron, "Paix et Guerre" ou "De la Guerre à l'âge nucléaire et diplomatique". Tout comme Clausewitz ou Carl Schmitt, Aron considère la société internationale comme une société polémique, et non comme une société politique. Il estime que la puissance est un facteur essentiel des relations internationales. Il s'oppose à la théorie des "représailles massives" de Dulles dans le domaine nucléaire, car elle limite l'action à la capitulation ou à la Guerre générale. Si nous appliquons ces principes à la guerre actuelle, nous ne devons pas attendre l'arrivée de Trump comme un lapin tétanisé dans les phares d'une voiture. L'Europe doit être unie et le montrer. Toute l'énergie diplomatique doit se concentrer sur l'unité de vue. C'est le paramètre fondamental pour faire douter "les Russes". Les traités le permettent, mais cela demande doigté, persévérance et surtout de ne pas tirer la couverture à soi.

Le sommet à Berlin entre Macron, Scholz et Tusk marque le début de cette démarche. La sortie de Macron contre les "lâches" qui refusent d'envisager la présence de troupes en Ukraine est un contre-exemple. La montée en puissance de l'économie de guerre européenne doit être visible et réelle. Pour l'instant, nous ne sommes pas à 2% du PIB, avec seulement 1,3% (la France étant au 5e rang avec 1,8%). Enfin, entre l'arme nucléaire et la Paix à tout prix, il y a toute une palette de rapports de force classiques. La Guerre est d'abord conventionnelle avant d'atteindre le stade nucléaire. Il faut utiliser le temps et la puissance pour que le dictateur et son peuple, le peuple et son dictateur conviennent qu'ils ne peuvent gagner. Tout en sachant, comme le disait encore Aron, "qu'il faut toujours craindre les réactions désespérées d'un peuple aux abois".          

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4.     L'avenir selon Bruno

Qu'est-ce qui est nouveau, c'est Bruno", nous disait Bruno Le Maire avec le succès que l'on connaît lors de la primaire de la droite en 2016. Sept ans après, rien de nouveau si ce n'est qu'il ne veut plus se faire caresser dans sa baignoire, mais caresser la présidentielle. Son programme n'a par contre pas changé. Il le présente dans son livre-programme "La voie française". Vous apprécierez le message subliminal. Le maire se veut l'homme de l'austérité. Il se présente dans un espace où c'est déjà le trop-plein : Wauquiez- Bertrand - Darmanin - Philippe - Bayrou - « What else ? » Oui, possiblement G. Attal. Le ministre des finances, pour se distinguer, y ajoute que tout n'est pas gratuit, faisant mine d'ignorer que ce qui est "gratuit", c'est l'intérêt général financé par l'impôt. Bref, le vieux programme libéral à la Thatcher : moins d'impôt et mieux privatiser l'État social. Cela n'a qu'un seul intérêt : obliger Édouard Philippe à sortir du bois. Il est probable qu'il n'avait pas besoin de cela pour déboîter. La preuve, il vient de déclarer en Nouvelle-Calédonie qu'il voulait être candidat. À moins bien sûr que l'intransigeance de Bruno, sur le refus d'augmenter les impôts, soit l'antichambre d'une rupture - sortie du gouvernement face à la capitulation keynésienne, pour se présenter à la présidentielle. Ce n'est plus une majorité même relative, mais un bal trap.

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5.     La dynamique Glucksmann

Le fait dominant des sondages pour les Européennes reste la percée spectaculaire de l'extrême droite en Europe, ou comme nous l'avions dit. Elle va s'imposer comme la troisième force européenne. La vague nationaliste est là. Et le PPE (droite classique) est largement contaminé. En France, l'extrême droite est au-dessus des 27 à 30 % selon les instituts. Ce score écrase le débat et préfigure l'avenir. Pour autant, dans le dernier sondage de OPW, Glucksmann prend 6 % des électeurs à la présidentielle chez Macron et 36 % chez Mélenchon. Mieux, l'Ifop avec la même matrice met Glucksmann-PS à 13 %. On est très loin des 1,75 % à la présidentielle. Devant le comité de campagne de Glucksmann, le directeur de celui-ci s'enflamme : "C'est le retour de la social-démocratie... d'une gauche non-mélenchonienne" devant des fauristes hiératiques. Le refus de Faure d'ouvrir au centre gauche républicain via Cazeneuve et le Parti Radical va coûter cher dans la "campagne fictive" des sondages, entre Hayer 18 % et Glucksman 13 %. Car peut s'ouvrir un match entre Renaissance et le PS. C'est ce qui détermine le vote utile dans les ultimes jours de campagne. Mélenchon en avait profité à la présidentielle avec le ralliement de la primaire populaire. Cela semblait peu de chose. Mais ce fut la source du vote utile pour Mélenchon. Ce dernier a d'ailleurs bien compris le risque. Il vient de réintroduire sa candidature à la présidentielle à l'occasion de son discours de soutien à Manon Aubry, tête de liste LFI aux Européennes. "Cela fait partie des options, tout le monde le sait", dit-il. Puis revient par Twitter interposé sur ses propos : "Il aspire à être remplacé". Ce qui veut dire que ce n'est pas encore le cas, donc l'option est ouverte. Le leader de la France insoumise ne veut pas borner l'avenir de sa formation à un résultat décevant aux Européennes et à des spéculations autour du Parti Socialiste. Il ouvre donc la séquence présidentielle dont il dit qu'elle verra le succès de la France insoumise. Il cherche aussi à rendre inopérante la perspective d'une primaire néo-nupes "Faure - Tondelier - Ruffin - Autain" attirant Roussel. Il a d'ailleurs, dans le même discours - ce qui est une première - taclé ses opposants internes. Il sait que le résultat des élections du 9 juin avec un succès de l'extrême droite va provoquer des initiatives de toutes sortes. Mais ce "bougé mélanchonien" est la meilleure démonstration que la dynamique Glucksmann - PS est là.

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6.     "Jadja" ce n'est pas français

Pour tous ceux qui pensent que les idées de gauche matricent toujours la vie politique et le débat citoyen, je leur conseille la lecture du sondage à propos d'Aya Nakamura qui devrait chanter Piaf pour l'ouverture des Jeux olympiques. 63 % des Français interrogés sont opposés. 73 % estiment qu'elle ne représente pas la chanson française. On déploie ici ou là des banderoles "Y a pas moyen Aya ici c'est Paris pas le marché de Bamako" parodiant son succès planétaire "Djadja". L'extrême droite à l'unisson donne un contenu à ce rejet : "Ce n'est pas en français. Ce n'est ni notre langue ni notre culture" (Chenu - M. Maréchal). "On a cherché à humilier les Français", nous dit Marine Le Pen. Sans revenir à l'argot d'Aristide Bruant, le poète Gainsbourg était lui bien français. Il chantait "des clashs des Craps des Bangs des vlop des Zip Shabam Pow Biop Wizz". Rien que des onomatopées comme Nakamura. Pendant que Jean-Marie Le Pen, père, rééditait les chants des Waffen pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est vrai que Gainsbourg n'était pas une femme, il n'était pas franco-malien, il ne parlait pas comme dans les quartiers et bien sûr, il n'était pas noir. On était dans les années 1970 et la gauche dominait les débats. Réveillez-vous ! "Ils sont majo". La préférence nationale domine.

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7.     Macron dans le piège budgétaire.

Ça y est, nous y sommes. Après avoir nié le problème, comme vous l'avez lu ici depuis des mois, E. Macron a convoqué ses barons dans un dîner qui a donné une visibilité maximale au sujet. C'est l'austérité avec 10, 20, 50 milliards à économiser, ou se voir imposer l'austérité par les agences de notation, Bruxelles ou les taux d'emprunt. Et pour la première fois, son premier cercle renâcle à ce tour de « vice ». Darmanin, Y Braun Pivet, Bayrou ou même le Premier ministre Attal laissent entendre que l'on pourrait revenir sur la doxa macroniste de ne pas toucher à l'impôt. Le libéral Macron, qui s'est mis à la boxe paraît-il, estime que la baisse des impôts libère de la capacité à consommer, de la TVA et de la croissance. Et donc, il vaut mieux s'attaquer au "pognon de dingue" des dépenses sociales plutôt que toucher aux marges de manœuvre des entreprises et des ménages. Mais en face, on évoque "l'impossible équation sociale" si cet effort n'est pas partagé par une augmentation de l'impôt, alors que la précarité fait des ravages et le chômage repart à la hausse. Mais une augmentation significative des impôts ruinerait le macronisme dans sa base sociale, ouvrant définitivement la route de Marine Le Pen à la présidentielle. Nous sommes aux limites du "en même temps". L'explosion budgétaire ou l'explosion sociale, E. Macron est "pat.

A Dimanche prochain !

Le communiqué du LAB 

Ma tribune : Nous sommes condamnés à nous entendre !

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Au moment où la Nupes s'est décomposée, un nouvel axe de recomposition se constitue : le Programme Fondamental. 

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LE POUVOIR D’AGIR

Le Lab de la social-démocratie vient d’élaborer un « programme fondamental » intitulé Le Pouvoir d’Agir, qui vise à rénover les idées de la gauche réformiste en France. LeJournal.info a décidé de publier les principales réflexions issues de ce travail collectif. Pour y avoir accès cliquez ci-dessous sur les quatre liens :